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A chaque fois qu’une commune française est touchée par des inondations, les Français s’émeuvent du sort des victimes. Sans savoir, la plupart du temps, que leur ville ou leur village est probablement menacé par une catastrophe similaire. A La Faute-sur-Mer (Vendée), avant que la tempête Xynthia ne tue 29 personnes le 28 février 2010, les autorités avaient sous-estimé le risque de submersion marine. Quatre ans plus tard, lors du procès, René Marratier, maire de la commune au moment des faits, a été condamné à quatre ans de prison ferme en première instance – il a fait appel – pour ne pas avoir respecté ses obligations en matière d’urbanisme et de prévention des risques.

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La quasi-totalité des communes françaisesvit aujourd’hui sous la menace d’un risque naturel ou technologique majeur. Pourtant, certains manquements laissent craindre que d’autres procès Xynthia, et surtout d’autres catastrophes d’ampleur, se reproduisent. Francetv info se penche sur la politique de gestion des risques en France, sur les outils existants et sur leurs inquiétantes limites.

Plus d’un tiers des communes menacées sont sans protection

Jusque dans les années 1980, la gestion des risques naturels et technologiques avait pour principal objectif l’organisation des secours après la catastrophe. Mais, depuis une trentaine d’années, la prévention du risque est devenue la règle. Entre 1995 et 2004, trois lois successives ont créé des outils permettant aux préfectures et aux communes de s’armer contre les catastrophes ou d’en limiter les conséquences.

Dix ans après le dernier texte censé combler les manques en matière de gestion du risque en France, la situation reste préoccupante. Le principal outil du maire en cas de catastrophe, le plan communal de sauvegarde(PCS), est loin d’être suffisamment répandu. Pourtant, les communes concernées par un plan de prévention des risques (PPR) approuvé par une préfecture, soit près d’une localité sur trois, ont l’obligation de réaliser un PCS. Dans les faits, fin 2014, selon les derniers chiffres disponibles dévoilés par le ministère de l’Intérieur à francetv info, sur les 11 795 villes concernées, seules 7 137 disposaient d’un tel dispositif, soit un taux de réalisation de 60,5%.

En dévoilant ce chiffre à francetv info, le ministère de l’Intérieur insiste sur le fait qu’il est en progression de 13,6% par rapport à 2013, et qu’il n’a cessé de bondir chaque année depuis 2011. Mais cette progression fulgurante est à pondérer. Car, comme l’explique François Giannoccaro, le directeur de l’Institut des risques majeurs (Irma), « si, entre 2011 et 2012, le taux de réalisation est passé subitement de 37% à 50%, c’est parce que l’Etat a décidé d’inclure dans ce décompte, en plus des PCS réalisés, les PCS en cours de réalisation ». Autrement dit, entamer la démarche de rédiger un PCS peut suffire à entrer dans les statistiques, qui paraissent alors plus positives.

Il est aujourd’hui difficile de collecter des données précises et à jour sur la prévention des risques en France. En 2012, l’Irma y est parvenu, listant le taux de réalisation des PCS en fonction des zones de défense, des circonscriptions spécialisées dans l’organisation de la sécurité.

Au-delà des disparités régionales, il est alarmant de constater que certaines communes déjà durement touchées par des catastrophes naturelles ne disposent pas encore de PCS. En Haute-Garonne, sur les 49 communes victimes des graves inondations qui ont ravagé les Pyrénées en juin 2013, seules 27 étaient équipées d’un plan de sauvegarde un an plus tard, selonLa Dépêche du Midipreuve que les choses avancent lentement, même quand on a été directement confronté à une catastrophe. Une situation qui a évolué : en juillet 2015, selon la préfecture, seules deux de ces communes touchées par les crues deux ans plus tôt n’avaient toujours pas réalisé leur plan de sauvegarde.

Pas de quoi inspirer pour autant les maires voisins, puisque le département reste sous-équipé : seules 56,68% des communes ayant l’obligation légale de rédiger un PCS l’ont fait. Si la condamnation du maire de la Faute-sur-Mer, qui a été sanctionné entre autres pour défaut de PCS, a fait réagir de nombreux édiles, on est encore loin d’une politique de prévention des risques optimale.

 

Même protégées, les communes restent vulnérables

Pour Jonathan Lonoce, pompier et élu de Givors, ville du Rhône frappée parune inondation en novembre 2014, un plan communal de sauvegarde « est une bible » pour la gestion d’une catastrophe. Y sont détaillés « les zones à faire évacuer en priorité » ou encore « les gymnases disponibles ». « Et, surtout, il précise bien la répartition des rôles : qui passe les coups de téléphone, qui gère les routes à bloquer, etc. » Dans une vidéo relatant un exercice simulé à Albertville, l’Irma démontre l’utilité du PCS.

Certaines communes traînent pourtant des pieds, car l’élaboration du document peut être fastidieuse tant elle nécessite du temps et des connaissances techniques poussées. De nombreux édiles sont alors tentés de se tourner vers des cabinets privés qui proposent, contre des tarifs parfois exorbitants, de produire un PCS « clé en main ».

C’est ce qu’a fait la municipalité d’Entre-deux-Guiers, petite commune rurale de l’Isère, en 2010. « C’était juste un regroupement de documents qui listait les risques de la commune. Il n’y avait rien de concret sur les mesures à prendre », regrette Annick Schmitt-Jousselme, élue municipale en charge de l’élaboration d’un nouveau PCS après l’élection d’un nouveau maire, en mars 2014.

Bien qu’il soit conforme à la loi, un PCS « documentaire » qui sert à « caler une armoire » s’avérera parfaitement inutile en cas de souci. Et l’Etat ne fait rien pour endiguer le problème. Au contraire. « Pour aider les maires, le ministère de l’Intérieur a mis en ligne un modèle de plan communal de sauvegarde prêt à remplir sur son site, s’agace François Giannoccaro. Du coup, beaucoup de communes se contentent de remplir les cases, d’y glisser deux ou trois cartes et de ranger tout ça dans un placard. Un PCS doit être testé, soumis à des exercices réguliers et sans cesse réactualisé, sans quoi il ne sert à rien. »

Les PCS ne sont pas les seuls dispositifs problématiques. Les préfectures sont censées élaborer des plans de prévention des risques naturels (PPRN),technologiques (PPRT) et miniers (PPRM) dans les zones de leur département où des périls sont clairement identifiés. En 2010, Nicolas Sarkozy s’était engagé à couvrir l’ensemble des zones à risque avec ces plans d’ici 2013. On n’en est pas encore là puisqu’à Saint-Geoire-en-Valdaine, dans l’Isère, où une inondation spectaculaire a fait un mort et causé d’énormes dégâts en juin 2002, aucun plan de prévention des risques naturels n’a été pour l’heure mis en place.

A Grabels, commune de l’Hérault durement affectée par les inondations en octobre 2014, la population a manifesté son mécontentement à de nombreuses reprises. Les habitants estiment en effet que le plan de prévention des risques local, bien qu’existant, est obsolète et inadapté. Ils dénoncent notamment le fait qu’une résidence est en construction dans une zone où l’eau a atteint deux mètres en octobre, mais qui n’a pas été répertoriée comme inondable.

 

Au final, c’est la culture du risque qui est insuffisante

Les retards et les manquements aux obligations en matière de gestion du risque sont des phénomènes connus des pouvoirs publics. En dix ans, les textes, les instances de concertation et les dispositifs d’action se sont multipliés. Mais l’Etat reste lucide sur la difficulté d’atteindre une protection optimale contre le risque. D’après un document issu du projet de loi de finances 2015, le gouvernement prévoit ainsi d’atteindre un taux de réalisation des plans communaux de sauvegarde de 67% en 2017. Un objectif qualifié d’« ambitieux », au regard du fastidieux travail de fond à effectuer en France.

Certaines préfectures incitent et accompagnent les maires dans cette démarche. Mais, dans la plupart des départements, « c’est le désert », d’après l’Irma. « Il faut absolument former et sensibiliser les maires, affirme Jonathan Lonoce, le pompier-élu de Givors. Dans les conseils municipaux, on vote les budgets, mais on ne parle jamais des risques. Il faut qu’une catastrophe survienne, qu’il y ait des morts, pour que les élus se disent : ‘On doit faire quelque chose.' »

Le travail de sensibilisation pourrait également être utile. En janvier, Ségolène Royal, la ministre de l’Ecologie, a décidé de diffuser des instructions au préfet : les communes menacées d’inondation qui ne sont pas équipées d’un PCS se verront privées de certaines subventions. Un coup de pression salutaire mais pas suffisant, selon le directeur de l’Institut des risques majeurs : « L’Etat veut juste s’assurer que les communes concernées ont toutes un PCS, sans se soucier de savoir s’ils sont opérationnels. Il y a un énorme travail à faire sur la culture du risque, en s’inspirant de pays comme le Japon, où les exercices sont très fréquents. »

Pour faire face aux catastrophes, ce n’est donc pas de documents réglementaires à jour dont la France a réellement besoin, mais d’un nouveau sens des priorités politiques. Symbole de ce manque d’entrain, uneproposition de loi sur la submersion marine, qui durcit la législation, a été votée au Sénat en 2011, mais elle attend son tour, depuis juillet 2012, dans les tiroirs de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée.

« La réalité, c’est que l’Etat n’a plus les moyens de financer sa politique de gestion des risques, s’inquiète François Giannoccaro. Quand on voit que, dans les discussions sur la réforme territoriale, personne n’a parlé de la prévention des risques, c’est très inquiétant. » Pour le directeur de l’Irma, il faut aller plus vite et plus loin : le PCS doit par exemple devenir obligatoire, non pas dans les communes où un risque majeur a été détecté, mais « là où il ne peut être exclu », c’est-à-dire dans la quasi-totalité des communes françaises. « Il faut que la prise de conscience soit générale. » 

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Source : FranceTVinfo