Une approche
Décider c’est choisir donc prendre un risque, même minime dans des situations simples. Décider dans l’incertitude c’est faire un pari très risqué. L’incertitude naît de la complexité, contexte dans lequel les éléments à intégrer dans la réflexion sont nombreux, ambigus, fluctuants et qui ne permet donc pas de préjuger, de façon certaine, de toutes les interactions qui naîtront de la mise en mouvement d’une variable. Et pourtant il faut décider…donc s’exposer et exposer son organisation à un risque accepté et que l’on doit assumer. La complexité et l’incertitude ont toujours fait partie de l’univers des hommes d’Etat et des stratèges, militaires ou non. La mondialisation y confronte de plus en plus l’entreprise.
Dans ce contexte, certains cherchent des solutions aisément applicables permettant de faire face à ce défi. D’autres s’en remettent aux possibilités des technologies de l’information et de la communication, aux capacités du Big data et aux avancées prometteuses de l’intelligence artificielle. Dans ce débat, on oublie probablement un peu l’Homme. Au fond, la capacité à prendre des risques, à décider dans des conditions incertaines, fait appel à trois dimensions encore profondément humaines.
La connaissance assimilée et mise à l’épreuve,
Première condition évidente, décider suppose de maîtriser parfaitement son métier et de connaître intimement tous les facettes de la structure que l’on dirige : ses capacités, ses lacunes, ses forces et ses faiblesses ; ce que l’on peut lui demander ou non, et dans quelles circonstances. Cette maîtrise dépasse l’expertise qui de toutes les façons est impossible à un certain niveau (on ne peut être expert de tout). Elle relève des collaborateurs. En revanche le dirigeant, doit avoir une connaissance générale suffisante de chaque domaine pour concevoir une action globale tirant partie des synergies qu’il est possible de créer entre les différentes composantes de la structure, dans des conditions données.
La formation en constitue un préalable, mais insuffisant. Ces connaissances doivent avoir été aguerries, mises à l’épreuve fréquemment et dans des contextes divers permettant de se les approprier réellement et de se forger une véritable expérience. L’expérience assimilée est un « multiplicateur » de la connaissance. Elle permet de mûrir la réflexion et conditionne la prise de recul nécessaire à toute décision. Par sa diversité elle autorise la créativité « raisonnée ». C’est également une condition de l’intuition qui, au-delà (mais sans s’en dispenser) d’une analyse rationnelle et exhaustive de la situation, permet au chef de « sentir » la « bonne » solution. L’intuition ne s’improvise pas : elle se cultive et se construit progressivement par l’étude et la pratique. L’expérience conforte la confiance en soi, condition nécessaire à la prise de risques.
la compréhension globale,
Mais, sauf à ce que chaque situation soit analogue à des situations déjà vécues, ce capital de connaissances et d’expérience se révèle insuffisant à l’état brut. Le caractère inédit ou, au minimum, très différent de chaque problème posé constitue l’essence même de la complexité. A chaque situation son cadre particulier, ses acteurs imparfaitement connus, de nouvelles variables et des interactions différentes à prendre en compte. Autant de données qui créent une incertitude qu’il importe de réduire. Dans le monde actuel deux éléments, au moins, se combinent pour compliquer l’appréciation de la situation : la multiplication du nombre des acteurs et des données de contexte à intégrer dans la réflexion : variété des adversaires, alliances de circonstances ou non, réseaux diffus, menaces émergentes potentielles, données socio-culturelles des acteurs etc. ; et le « vacarme informationnel » résultant de la multiplicité des capacités d’acquisition et de diffusion de l’information qui complexifie la hiérarchisation des renseignements et l’isolement des données pertinentes. Dans ce fatras, l’IA est, et sera, d’une grande aide en permettant un traitement analytique rapide de l’ensemble des données, les rendant ainsi un peu plus intelligibles. Elle ne sera cependant qu’une aide.
La compréhension globale consiste à replacer les informations et à les apprécier dans le contexte de l’action, en prenant en compte aussi bien les éléments liés à l’environnement que ceux liés aux acteurs. Au-delà des modes d’action et des strictes capacités de l’adversaire et des parties à la « compétition », elle implique d’en comprendre la culture et d’en cerner la détermination. En fait, c’est un exercice qui permet de pondérer l’analyse par des éléments moins quantifiables que les données factuelles, en intégrant dans la réflexion l’aléa et la part inévitable d’irrationalité. Elle nécessite également d’être pleinement conscient de ses propres biais culturels et intellectuels qui pourraient nuire à une analyse lucide de la situation (« connais-toi, toi-même »). Cette contextualisation, donne un recul et une intelligence de situation qui permettent alors de discerner de façon synthétique, dans le chaos de la complexité et de la masse d’informations disponibles, les quelques éléments décisifs de l’action. Cette aptitude ne naît pas spontanément. Elle ne peut être le fait d’une seule expertise technique. Elle est le fruit de la culture, de la curiosité et d’un entrainement visant à « apprendre à comprendre » et à exercer sa capacité de raisonnement personnel et de jugement. Cette intelligence de situation permet de mesurer réellement les dangers inhérents à chaque option envisageable, élément indispensable à la prise de risques calculés.
et le courage.
Plus que dans des situations simples, décider dans l’incertitude réclame une qualité : le courage qui transforme l’idée en décision et permet l’action. Le courage n’est ni la témérité ni l’inconscience. Pour Gramsci, c’est « le pessimisme de l’intelligence et l’optimisme de la volonté » : on regarde la réalité, telle qu’elle, avec lucidité et l’on agit quand on le peut, sur ce qui dépend de soi, sans se laisser troubler par les difficultés, avec détermination. Le courage suppose d’abord de s’avouer que la décision, quelle qu’elle soit, sera toujours prise en rationalité limitée ; qu’on l’aura mûrie sans avoir tous les éléments et en ayant privilégiés certains au détriment d’autres. En somme, d’admettre de se fier, en partie au moins, à son intuition. Il suppose également une confiance en soi, une assurance et une énergie qui permettent d’avoir, de porter et de faire accepter une vision qui ne soit pas forcément à l’unisson de la majorité. A la différence de la témérité ou de l’inconscience, il conduit à la prise de risques qui auront été mesurés, pesés et acceptés. A cet égard, la notion de « risque acceptable » n’a pas grand sens et c’est de « risque accepté » dont il faut parler. Enfin, il implique d’accepter d’assumer seul et pleinement la totalité des conséquences de la décision qui aura été prise.
Le courage est un trait de caractère, une « vertu » dont personne n’est totalement dénué mais dont peu sont totalement pourvus. Les traits de personnalités peuvent aller de timoré à aventureux, personnalités rares, mais le plus souvent de prudent à audacieux. On « n’apprend » pas le courage. En revanche, la personnalité peut s’y former, au moins partiellement, de façon progressive par des mises en situation fréquentes. La confiance en soi ainsi que la capacité à cerner l’essentiel dans la complexité et à mesurer la portée des décisions possibles en constituent des composantes majeures qui peuvent s’acquérir, en partie. Mais le courage ne peut s’exprimer sans un élément essentiel et plus difficile à cerner : la force de caractère, faite de conviction, de détermination, de capacité de résistance aux épreuves et d’énergie. « …C’est, quand on a acquis la certitude d’une vérité, savoir s’y maintenir coûte que coûte, quoi qu’il arrive. C’est savoir rester seul à la barre à espérer quand tout lâche autour de soi… » (Gaston Courtois – L’art d’être chef). Même si elle peut se forger dans l’épreuve, cette disposition relève pour beaucoup de l’inné. C’est ce qui différencie un chef, un leader, d’un excellent manager. Le courage est l’ingrédient indispensable à la prise et à l’acceptation consciente de risques.
Décider dans la complexité et l’incertitude est l’illustration même de la capacité à prendre des risques. Il n’existe pas de matrice ou de martingale infaillible pour ce faire ; non plus que de formation accélérée ou de master spécialisé…Par certains aspects, cette aptitude peut s’acquérir par un travail de maturation de long terme. D’autres relèvent beaucoup plus de capacités intrinsèques. Même si c’est « politiquement incorrect », nous ne sommes pas égaux et certains ont donc des prédispositions plus affirmées que d’autres. C’est, entre autres, ce qui fait sa dimension humaine.
Et demain ? Indéniablement, les TIC seront une aide précieuse. Elles accélèrent, par exemple, l’acquisition de connaissances et l’assimilation de compétences grâce à la simulation, dont la réalité virtuelle et la réalité augmentée accroitront le réalisme. La puissance du Big data et de l’intelligence artificielle, accrue par le machine learning, permettront de réduire l’incertitude en proposant un nombre plus réduit d’options rationnellement envisageables. Mais pourront-elles intégrer la part d’irrationalité et d’imprévisibilité d’un adversaire/concurrent humain (8) ? En d’autres termes, elles faciliteront la prise de décision mais il restera à décider. En théorie la machine saura et pourra le faire. Mais, dès lors que des responsabilités écrasantes, notamment humaines, seront en jeu, l’homme lui confiera-t-il la décision ?
Alors, il faudra encore cette vertu que l’on appelle le Courage.
Source : linkedin.com
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