Fraude, corruption : les dirigeants se tournent vers les assureurs

La couverture contre les risques d’enquête pour fraude, corruption et autres entorses à la conformité se généralise. Les assureurs font face à une forte hausse des sinistres.

Les dirigeants d’entreprise sont sur le qui-vive. De BNP Paribas à Airbus, les enquêtes pour fraudes et corruption lancées par des autorités étrangères leur ont fait prendre conscience du risque croissant de mise en cause de leur entreprise, mais aussi de leur responsabilité personnelle. Et l’un de leur premier réflexe est de se tourner vers leur assureur.

Les cas se multiplient. AIG France, l’un des principaux assureurs en responsabilité des dirigeants (D&O), fait ainsi état, sur son portefeuille, d’un quasi doublement sur les cinq dernières années du nombre de réclamations liées à des enquêtes pour fraude, corruption, malversation et autres entorses à la conformité. Soit plusieurs centaines de dossiers par an. « L’attention des régulateurs est beaucoup plus élevée qu’auparavant. Ceux-ci communiquent de plus en plus entre eux à l’échelle mondiale. Cela se traduit par une augmentation des sinistres », explique Paul Sterckx, directeur du département risques financiers d’AIG en France.

Le contexte s’est en effet considérablement durci. « Juste après la crise financière, il y a eu des sanctions contre les entreprises, mais peu de dirigeants ont alors été considérés comme responsables. Tout a changé quand le ministère de la Justice américain (DoJ) a permis aux entreprises qui coopéraient et dénonçaient leurs dirigeants d’obtenir des sanctions plus faibles , explique Christophe Pardessus, directeur juridique et compliance chez Marsh France. Les enquêtes de conformité visent maintenant beaucoup plus systématiquement une personne responsable. Cela a rendu la vie des dirigeants et de cadres plus compliquée. »

Un risque explosif pour les entreprises cotées aux Etats-Unis

Certaines entreprises n’hésiteraient pas même à diligenter des enquêtes internes, dans le cas de cartel par exemple, et à en faire porter la responsabilité sur des responsables isolés ou qui partent à la retraite.

Les enquêtes sont principalement diligentées par des autorités étrangères, en particulier américaines. Le risque est d’autant plus fort, notamment, lorsque l’entreprise est cotée aux Etats-Unis. «  L’action soutenue de la SEC induit une augmentation notable du nombre de sinistres. Quand une entreprise entre en Bourse aux Etats-Unis, notre expérience nous apprend que dans 80% des cas environ elle doit faire face à une réclamation et un sinistre dans les 3 années qui suivent  », explique Paul Sterckx.

Le « plaider coupable » permet à une entreprise qui reconnaît les faits de réduire ses sanctions et d’éteindre une procédure.  « Presque tous les assureurs ont accepté de faire évoluer leurs contrats d’assurance de responsabilité civile des mandataires sociaux pour prendre en charge les conséquences financières d’une telle procédure, notamment les dommages et intérêts »,  explique Guillaume Deschamps, chez Gras Savoye Willis Towers Watson. Mais cette garantie ne joue que pour les assurés ayant obtenu l’accord de leur assureur pour s’engager dans une procédure de « plaider coupable ».

Mais les régulateurs français, eux aussi, se saisissent depuis peu très sérieusement du sujet, avec  les dispositifs anticorruption de la loi Sapin 2. « La sensibilité des dirigeants concernant les polices d’assurance que leur entreprise met en place pour eux a historiquement été toujours plus élevée aux Etats-Unis dans et les pays anglo-saxons qu’en Europe continentale. Mais les dirigeants français s’en préoccupent de plus en plus », indique Christophe Pardessus. Si les grands comptes sont déjà équipés, c’est moins le cas des PME.

Les tarifs de l’assurance D&O toujours à la baisse

Ces contrats d’assurance couvrent les frais de défense liés aux enquêtes. Les amendes infligées aux dirigeants ne sont, elles, quasiment jamais prises en charge, sauf exception. « C’est une zone un peu grise. La prise en charge des amendes civiles ou administratives  est conditionnée au terme ‘lorsque légalement assurable’. Mais nous préférons avoir cette garantie avec ce libellé plutôt qu’une exclusion stricte », indique Guillaume Deschamps, directeur lignes financières de Gras Savoye Willis Towers Watson.

Malgré cette sinistralité nouvelle, les tarifs des contrats D&O sont toujours orientés à la baisse. « Le marché continue d’être très concurrentiel, avec l’arrivée régulière de nouveaux opérateurs, et les résultats sont bons », poursuit Guillaume Deschamps.

Source : Lesechos.fr