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Le fabricant français de sous-marins DCNS vient d’être victime d’une fuite massive de documents confidentiels, quelques semaines à peine après avoir décrocher un contrat record de plus de 34 milliards d’euros en Australie.

Simple malveillance ? Nouvelle preuve d’une guerre économique impitoyable ? La fuite de plus de 22.000 pages de documents sensibles sur le sous-marin français Scorpène vendu à l’Inde, dévoilée par le quotidien australien The Australian, tombe au plus mal pour le groupe naval français, sélectionné en avril par l’Australie pour un contrat de douze sous-marins estimé à 50 milliards de dollars. Le ministre de la défense Jean-Yves Le Drian a dénoncé le 1er septembre « une action malveillante », assurant que « tous les moyens » étaient mis en œuvre pour élucider l’affaire.

Comment torpiller des années de travail ? Mardi après-midi, le journal The Australian publiait des documents exclusifs appartenant à l’entreprise de Défense française DCNS. Une fuite massive qui intervient quelques mois à peine après l’accord de principe signé entre la France et l’Australie pour la vente de 12 sous-marins nouvelle génération, des Barracuda, pour un montant historique de 34 milliards d’euros. Le « contrat du siècle » qui scellait une relation stratégique entre les deux pays pour les 50 prochaines années, au nez et à la barbe des Allemands de TKMS, mais surtout du consortium japonais formé par deux filiales spécialisées des géants Mitshubishi et Kawasaki, longtemps présentés comme les favoris pour l’obtention du marché.

La fuite de ces documents est un coup porté à la crédibilité de la France. D’après les premiers éléments révélés par la presse australienne, ces documents pourraient avoir transité par des sociétés du sud-est asiatique avant d’être finalement envoyés à une entreprise en Australie. Des données qui, toujours selon The Australian, auraient pu avoir été transportées hors de France en 2011 par un ancien officier de la marine française qui, à l’époque, était sous-traitant de DCNS.

Contactée, l’entreprise explique qu’une enquête est ouverte pour trouver les responsables des fuites et définir le degré de sensibilité des documents ».  Bien que la surprise ait été totale chez DCNS, l’entreprise aurait été informée seulement la veille de la publication de l’article.

Des représailles au succès économique de l’armement français

Comment ces documents ont-ils pu sortir des murs de DCNS ? « En matière de guerre économique, il peut y avoir plusieurs sources de fuite. Cela peut-être une cyber-attaque classique, une action de social-engineering ou une fuite humaine directement. Dans ce cas précis, le problème n’est pas tant l’acquisition de l’information, mais comment on tente de déstabiliser une entreprise, une institution, un Etat, par la publication de cette information. Pour DCNS, la lecture la plus simple est que cette fuite constitue des représailles à son succès économique.

Engagé dans un cercle vertueux avec la vente des Rafale, du Mistral et des sous-marins, l’armement français a certainement mangé son pain blanc. « C’est un énorme coup dur », explique même un observateur du secteur. Pour DCNS, ces révélations ne signifient pas la fin du « contrat du siècle » mais devraient perturber les négociations exclusives qui se tiennent entre les deux pays jusqu’à l’hiver prochain sur les modalités de la transaction. La position française sera fragilisée dans les futures négociations. Ce qui était probablement l’effet final recherché par ces fuites coordonnées dans le temps et dans l’espace ». La France vient bel et bien d’être frappée sur le terrain financier. « Nous sommes en guerre économique, tout le monde le sait », déplore une source chez DCNS.

Comment la France gère-t-elle la protection des informations sensibles de ses champions industriels?

Force est de constater que cette responsabilité est sacrément diluée. La DGSI, le renseignement intérieur, dispose d’une structure dédiée, baptisée sous-direction K. La DGSE dispose aussi d’un service de sécurité économique, rattaché à la direction du renseignement, évoqué pour la première fois dans l’arrêté du 10 mars 2015 sur l’organisation de la « Boîte ». « Mais la priorité absolue donnée à la lutte antiterroriste réduit les moyens en hommes et en argent pour ces structures », souligne Alain Juillet, ancien directeur du renseignement de la DGSE et président du Club des directeurs de sécurité des entreprises (CDSE).

Une nouvelle structure à Bercy

Il faut également compter avec la DPSD (Direction de la protection et de la sécurité de la défense), le service de renseignement du ministère de la défense, qui est en charge de la contre-ingérence au sein des entreprises de défense. Ajoutons aussi la toute nouvelle DPID (Direction de la protection des installations de défense), qui revendique une mission de « protection du potentiel technique et scientifique de la nation ». Point final? Que nenni. La Direction générale de l’armement (DGA) est aussi impliquée: elle scrute 1.100 sociétés françaises aux compétences jugées critiques, et donne son avis sur la « divulgabilité » des brevets jugés stratégiques. Le Secrétariat général à la défense et à la sécurité nationale (SGDSN), rattaché à Matignon, est aussi associé à la question.

La coordination de tout ce petit monde est, du moins en théorie, confiée au tout nouveau Service de l’information stratégique et de la sécurité économique (SISSE). Cette structure, dirigée par l’ancien patron de Tracfin Jean-Baptiste Carpentier, rassemble depuis février deux directions qui se faisaient jusqu’alors concurrence: la délégation interministérielle à l’intelligence économique (D2IE), qui dépendait de Matignon ; et le service ministériel de coordination à l’intelligence économique (SCIE), rattaché à Bercy.

Dialogue à affiner

Le SISSE a été créé avec la mission, entre autres, de faire cesser ces querelles de chapelles. « Le problème, c’est que cette structure, rattachée à Bercy, n’a aucun pouvoir sur les services de renseignement comme la DGSI, la DGSE ou la DPSD », souligne Alain Juillet. Ces directions rendent compte, au mieux, à leur ministère de tutelle (intérieur pour la DGSI, défense contre la DGSE et la DPSD), au pire directement à l’Elysée. Si le profil de Jean-Baptiste Carpentier, ancien membre de la grande famille du renseignement en tant que patron de Tracfin, facilite les échanges, le dispositif n’est clairement pas idéal.

La solution pourrait passer par une montée en puissance du coordonnateur national du renseignement (CNR), rattaché à l’Elysée. Le CNR a, lui, autorité sur les patrons des services. En théorie tout du moins: ce poste a perdu en influence depuis plusieurs années, au point que son titulaire (Alain Zabulon, puis Didier Le Bret) était régulièrement « zappé » par les dirigeants du renseignement français. Si le nouveau titulaire du poste, l’ancien préfet des Hauts-de-Seine Yann Jounot, nommé le 1er septembre, arrive à marquer son territoire, il pourrait devenir, en tandem avec Jean-Baptiste Carpentier, le coordinateur d’un secteur de la sécurité économique qui en a bien besoin

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